Saemmer, Alexandra, Nolwenn Tréhondart, et Lucile Coquelin. 2022. Sur quoi se fondent nos interprétations ? Introduction à la sémiotique sociale appliquée aux images d’actualité, séries télé et sites web de médias. Papiers. Villeurbanne: Presses de l’enssib.
Notes de lecture

À partir de quels savoirs, plus ou moins intériorisés et conscientisés, conférons-nous du sens aux productions médiatiques ? Quelles en sont les bases sociales, culturelles, expérientielles ? Prenant résolument le contrepied de toute entreprise de décodage des textes, de fact-checking ou de critique des sources, les autrices de l’ouvrage Sur quoi se fondent nos interprétations ? — Alexandra Saemmer, Nolwenn Tréhondart et Lucile Coquelin — entendent poser les fondations d’une démarche en éducation aux médias qui mettrait l’accent sur les processus interprétatifs à l’œuvre dans notre compréhension des messages médiatiques. En effet, ainsi qu’elles le posent dès les premiers mots de l’introduction,

ce n’est pas parce qu’une photographie est recadrée et retouchée que son rapport au réel relève forcément de la tromperie. Et ce n’est pas parce qu’une news relève de l’affabulation qu’elle ne dit pas quelque chose sur le réel des producteur·rices et des lecteur·rices qui la commentent et la font circuler sur les réseaux sociaux numériques. La motivation à partager des images et des vidéos s’appuie souvent moins sur la conviction que leur contenu est vrai que sur l’envie d’attirer l’attention, de choquer, d’amuser, ou de porter un regard critique sur la société (p. 7).

Le livre expose une démarche d’appropriation des médias originale, celle de la sémiotique sociale, centrée sur l’élucidation de filtres interprétatifs que mobilise le sujet impliqué dans une opération de sémiose : « Ces filtres, constitués de savoirs contextuels et culturels et d’habitudes de pensée, aident à percevoir, catégoriser et interpréter la réalité selon un certain angle » (p. 19). Les ressources d’une sémiotique d’inspiration peircienne, appuyée sur les travaux de Paolo Fabbri (Fabbri 2008) et ceux issus du courant (sémio-)pragmatique (Odin 2011), balisent théoriquement cette approche, selon laquelle le sujet est constamment placé au centre de l’activité interprétative :

Notre hypothèse est que les signes ne sont jamais perceptibles et interprétables tels quels, mais s’appréhendent toujours par le filtre d’une instance de jonction — nommée « interprétant » par Charles Sander Peirce. Paolo Fabbri souligne que si cette instance a été théorisée par la sémiotique pragmatique, il reste à lui donner une forme méthodologique, une existence, car « la sémiotique de modèle peircien s’est arrêtée ici » (p. 12).

L’une des entreprises de l’ouvrage consiste dès lors à exposer, et à rendre compte, d’une méthodologie opérationnalisant un cadre conceptuel nourri de plusieurs sources : outre la sémiotique, les outils d’analyse du texte, de l’image, des sites web ainsi que, pour la mise en évidence des routines interprétatives, la sociologie constructiviste héritée des travaux de Berger et Luckmann (Berger et Luckmann [1966] 2022). Concrètement, la démarche d’investigation des filtres interprétatifs repose sur deux versants solidaires : (i) la mise en relation des « signes perçus d’une production culturelle » avec « les savoirs, connaissances, expériences socialisatrices, langues, convictions politiques, appartenances religieuses, etc., du sujet qui les reçoit et les interprète. » (p. 27) ; et (ii) la confrontation des hypothèses interprétatives au sein d’ateliers collectifs, rendant saillantes les divergences interprétatives dans les différents ateliers compte tenu de leur composition sociologique, d’une part et, d’autre part, entre les participants d’un même atelier suivant la variété de leurs profils. Les autrices détaillent la construction de ce dispositif dans la première partie du livre, consacrée à la présentation des fondements épistémologiques, au choix des outils d’analyse et à l’explicitation du modus operandi des ateliers de co-interprétation.

L’interprétation d’images d’actualité, de trailers de séries télévisuelles et de sites web de média — trois types de textes médiatiques expérimentés comme matériau au sein des ateliers — débute par le repérage des traces matérielles laissées par une instance d’énonciation au sein des productions culturelles. L’articulation stratégique des signes au sein de ces productions y organise en effet des lectures préférentielles (Hall 1994) ;en d’autres termes, l’instance d’énonciation préfigure certains modes de lecture à privilégier (Saemmer 2015), oriente le regard de l’énonciataire vers les unités suggérées comme signifiantes et le guide ainsi dans le choix d’un axe de pertinence[1] suivant lequel le message médiatique sera lu. Une sélection d’outils conceptuels est proposée pour se doter d’un vocabulaire d’analyse commun, tant pour la photographie de presse (cadrage, focalisation et embrayage du regard, contexte médiatique), le récit cinématographique (montage, couplage image/son, voix, focalisation et plans, vitesses narratives), que pour le site web (architextes ouvrant vers l’industrialisation des contenus, l’énonciation éditoriale et ses unités compositionnelles).

L’attention est portée, dans un deuxième temps, sur la manière dont les filtres interprétatifs agissent dans la saisie des matérialités d’une production culturelle. Les travaux de Barthes en rhétorique de l’image (Barthes 1964; 1980) ont montré comment les signes visuels composent des unités signifiantes (par exemple, le blanc-vert-rouge de l’affiche Panzani, connotant l’italianité des aliments et leur conférant une valeur d’authenticité, fussent-ils conditionnés en boîtes et sachets). Or, comme le soulignait déjà Barthes, la discrimination de ces unités est fonction de savoirs culturels et de contextes sociaux qui neutralisent d’autres possibles interprétatifs : « Autrement dit : la sélection et la catégorisation de tel détail au détriment d’un autre fondent la construction du futur diagnostic interprétatif » (p. 43). Le projet de la sémiotique sociale entend s’appuyer sur cette perspective en amenant l’analyste à porter un regard réflexif quant à ses propres filtres culturels, ses habitudes de pensées résultant d’expériences socialisatrices, pour en interroger le caractère construit ; et, de là, la place éventuelle qu’elles occupent dans le maintien et la reproduction d’un ordre social[2].

Le dispositif choisi pour favoriser la réflexivité quant aux savoirs contextuels, culturels et habitudes de pensée est celui des ateliers de co-interprétation, où se met en place une démarche collective de questionnement des filtres interprétatifs et de leur rôle dans la sémiotisation des productions médiatiques. Et l’exercice de la réflexivité y apparait bien comme une fin à part entière, non comme un moyen au service du décryptage ou de la démystification d’objets duplices : « En sémiotique sociale, ce ne seront donc pas les filtres interprétatifs per se qui seront considérés comme idéologiques, fussent-ils peu légitimés par les univers symboliques dominants, mais l’invisibilisation de leur action dans le processus de perception et d’interprétation. » (p. 58).

Les retours d’expériences issus de la pratique des ateliers de co-interprétation sont présentés successivement dans la deuxième partie, pour les différents médias envisagés, et les différents groupes de participants (étudiants, futurs enseignants ou retraités). La pratique de terrain montre que ces situations de groupe sont propices à l’émergence de dissensus, à la mise en évidence du caractère construit des filtres interprétatifs ; mais également à la mise en visibilité des situations de domination où apparaissent les injustices épistémiques, soit l’ « idée que les ressources interprétatives disponibles au sein d’une société sont façonnées par des groupes en situation hégémonique » ; d’autres ne disposant pas de ces ressources, ou étant susceptibles de s’auto-censurer dès lors que leur interprétation apparaîtra moins légitime d’un point de vue doxique.


Ce qu’on apprécie particulièrement dans les propositions d’Alexandra Saemmer, Nolwenn Tréhondart et Lucile Coquelin, c’est l’originalité d’une méthode (car il s’agit bien d’une scénarisation structurée servant des finalités de connaissance et d’apprentissage) qui attribue une position centrale au sujet et à son activité interprétative des textes médiatiques, tout en prenant en considération la dimension collective du partage du sens. Ceci tranche singulièrement avec la perspective courante d’un décryptage des médias[3]. L’accent mis sur la réflexivité rencontre les préoccupations exprimées ici même de voir l’éducation aux médias se constituer en savoir critique — à cet égard, nous avions rendu compte des propositions sémio-communicationnelles d’Yves Jeanneret dans l’ouvrage dirigé par B. Lafon, allant également en ce sens. Au demeurant, comme l’expliquent modestement les autrices dans leur conclusion, il s’agit là de poser les prémisses d’une démarche qui demande à être éprouvée sur d’autres terrains, en milieu scolaire par exemple. De ce fait, plusieurs questions sur les applications du dispositif, son ouverture à d’autres types de textes médiatiques, débouchent sur plusieurs pistes de discussion quant aux prolongements possibles de cette stimulante proposition. Nous en choisirons trois plus spécifiquement : (i) le rôle réservé à l’animateur des ateliers, et la posture qu’il est amené à y prendre ; (ii) le type d’objets sur lesquels porte l’analyse et sa délimitation ainsi que (iii) les liens entre réflexivité et lucidité de l’usager médiatique au regard des finalités poursuivies par l’éducation aux médias.

Quelle place pour l’animateur des ateliers de co-interprétation ?

L’exercice de la sémiotique sociale appliquée aux images d’actualité, aux trailers ou aux sites web de médias nécessite de s’intéresser à la place spécifique de l’animateur au sein des ateliers de co-interprétation ; en particulier, à la manière dont il prend part à l’élaboration des hypothèses interprétatives. La question n’a évidemment pas échappé aux autrices : alignées sur les propositions de la Pédagogie de l’autonomie de Paolo Freire, elles affirment

la nécessité d’une posture d’enseignant·e authentique, recherchant des zones de franchise dans le dialogue avec les participant·es. Cette franchise implique de ne pas revendiquer une quelconque neutralité idéologique pour soi-même : « Au nom du respect que je dois aux élèves, il n’y a aucune raison que j’omette ou dissimule mon opinion politique en assumant une neutralité qui n’existe pas », affirme Paulo Freire. (p. 56-57)

Bien entendu, si l’on doit pratiquer la sémiotique sociale en milieu scolaire, cette posture heurte de front le prescrit de neutralité qui s’impose aux enseignants. Cette tension est d’ailleurs soulevée au sein des ateliers impliquant des enseignants en formation ; et sans doute mériterait-elle un traitement plus nuancé, tant elle est complexe. Par exemple, cette capsule de la chaîne belge de vulgarisation Philoxime, animée par Maxime Lambrechts (UCLouvain), nous semble assez bien poser le cadre en problématisant la question de la neutralité en situation éducative dans les contextes français et belge, tout en mobilisant les références convoquées par les autrices :

On comprend bien dès lors que la question n’est pas vraiment celle de la franchise à l’égard de l’élève, que l’enseignant manifesterait en dévoilant ses opinions politiques — le terme peut d’ailleurs apparaître malheureux : l’enseignant n’en faisant pas mention serait-il sournois ? À l’opposé du but recherché, un tel dévoilement, en raison de l’asymétrie inhérente à la situation d’enseignement, court plutôt le risque d’inhiber l’expression des opinions politique des apprenants ou de les modifier par effet d’autorité (un écueil dont les autrices sont conscientes). L’effort poursuivi par l’enseignant pour apparaître neutre (dans toute sa complexité, et les contradictions qu’il implique) peut aussi être interprété comme une tentative de créer les conditions pour que, dans la mesure du possible, l’élève se sente autorisé à ne pas l’être[4] — et, pour tirer le fil du présent ouvrage, à créer les conditions pour réduire, peut-être, l’autocensure dans la mise au jour de certains filtres interprétatifs. En ce sens, l’exercice funambulesque de la neutralité en terrain scolaire pourrait être rapprochée d’une contrainte contextuelle définissant un axe de pertinence au sein duquel élèves et enseignants mobilisent leurs ressources communicationnelles pour en saisir la prétention, soit celle d’une convention et non d’un fait acquis, visant plutôt à respecter l’élève dans liberté de positionnement[5].

Quels objets pour l’analyse en sémiotique sociale ?

Une autre observation touche aux textes médiatiques soumis à l’interprétation, qui apparaissent à ce stade comme des entités décontextualisées, closes sur elles-mêmes. Or, un trailer de série sera-t-il interprété de la même manière s’il est partagé au sein d’un groupe Facebook, proposé en tant que suggestion par Netflix pour un profil d’utilisateur donné, ou lu automatiquement à la suite d’une capsule YouTube consultée par l’usager ? Une image d’actualité, si elle est publiée sur le site d’un média en ligne, sur Twitter, sur un blog ? Enfin, que dire de l’énonciation éditoriale d’un site web de média, qui présente des variantes suivant le navigateur choisi ou l’interface mobilisée (laptop, smartphone) ? Sur le web comme ailleurs, tout texte s’interprète nécessairement en relation avec un contexte — on reprendra les mots de Chartier, évoquant ici la lecture d’un article de presse :

[l]e lecteur construit la signification de l’article qu’il lit à partir de sa mise en relation, même inconsciente, avec ce qui le précède, l’accompagne ou le suit et, également, à partir de sa perception de l’intention éditoriale et du projet intellectuel, esthétique ou politique qui gouvernent la publication. (Chartier 2006, 21)

Avec les médias numériques, cette problématique prend une dimension nouvelle, dès lors que les textes circulent, sont republiés sur différents sites, mis en relations hypertextuelles avec d’autres pages web, et que l’usage qui en est fait modifie leur forme : par exemple, les transferts d’énonciation éditoriale entre architextes résultant de la circulation médiatique des textes seraient ainsi à considérer dans l’analyse (Bonaccorsi 2013). Il faudrait encore prendre en compte le produit de l’activité interprétative des communautés en ligne manifesté, par exemple, sous la forme de commentaires comme textes seconds, coextensifs au premier (Paveau 2017, 44). De ce point de vue, les outils élaborés par l’analyse du discours numérique complèteraient utilement la sélection d’outils proposée, essentiellement orientée vers l’analyse des messages visuels. Par ailleurs, si les textes numériques se caractérisent par leur haut degré de polyphonie (Souchier et al. 2019), il faut rappeler que tout texte résulte d’une pluralité d’instances énonciatives, est traversé d’un interdiscours avec lequel il entre en relation, par rapport auquel il se positionne (Rabatel 2017; Bres 2019). Peut-être y aurait-il lieu d’identifier différentes instances d’énonciation, dont l’enchevêtrement entre également en jeu dans la saisie du sens.

Enfin, la manière même dont nous interagissons avec les interfaces numériques dépend précisément de la manière dont nous sommes capables d’émettre des hypothèses interprétatives quant aux statut de leurs unités signifiantes : signes passeurs ou petites formes (Souchier et al. 2019) figent par exemple des représentations appartenant à la mémoire sociale, destinée à stimuler la familiarité avec les environnements hors ligne (enveloppe ou avion de papier pour l’envoi d’un message, charriot et rayons de la boutique en ligne, étagères virtuelles de nos bibliothèques universitaires, etc.) — de ce point de vue, les médias numériques stabilisent les usages correspondant aux hypothèses interprétatives les plus communément partagées, et anticipent ce que Jeanneret nomme des prédilections sémiotiques (Jeanneret 2008, 168; Bonaccorsi 2013, 135)[6]. La scénarisation des ateliers pourrait sans doute, en tout ou en partie, intégrer ces hypothèses interprétatives momentanément entérinées et interroger les raisons de leur succès — bien qu’il soit évident que, pour des raisons didactiques, la réduction des paliers d’analyse apparaisse indispensable.

Lucidité et réflexivité

Pour terminer, on questionnera le statut de la réflexivité en éducation aux médias et la manière dont la sémiotique sociale entend l’exercer. Alexandra Saemmer, Nolwenn Tréhondart et Lucile Coquelin mettent en avant les relations établies entre réflexivité et esprit critique dans ce domaine (Lecomte 2014), ainsi que les liens entre réflexivité et développement des capacités d’ordre métacognitif mis en évidence par les sciences de l’éducation et remobilisés en éducation aux médias (Fastrez et Philippette 2017). Dans la lignée de ceux-ci, l’approche de la sémiotique sociale vise à désautomatiser la sémiose (p. 57) en permettant l’explicitation de processus cachés à la conscience des individus : « Les habitudes de pensées intériorisées […] sont qualifiées d’idéologiques lorsqu’elles agissent fonctionnellement sur le sujet selon un processus qui lui échappe, et se trouvent rattachées à des intérêts de pouvoir façonnés et imposés par des groupes en situation hégémonique » (p. 59, nous soulignons). Sans doute l’un des risques inhérents à cette position est-il de renouer avec un idéal de lucidité, de dévoilement ou de transparence qui habite trop souvent les initiatives en éducation aux médias, ramenant l’activité de co-interprétation à un décryptage, certes non pas orienté vers le texte médiatique en lui-même, ses codes, mais vers les processus mentaux. Les autrices s’expriment ainsi dans leur conclusion :

En résumé, la sémiotique sociale essaie d’aider chacun·e à devenir plus lucide de ses propres mécanismes interprétatifs. Comprendre ces mécanismes, individuellement et en groupe, n’amène pas au consensus, et déclenche rarement des conversions. Accepter que le regard sur la réalité d’une production culturelle, quel qu’il soit, est toujours socialement et psychologiquement construit, donc sujet à des prismes liés à l’appartenance à une classe sociale, l’éducation, la langue, les croyances et les convictions ainsi que le vécu personnel, procure cependant une plus grande liberté de choix — tel est en tout cas notre pari, conforté par les retours du terrain. (p. 186)

Si l’on partage sans réserve les préoccupations éducatives destinées à faire apparaître le caractère construit du regard sur les productions culturelles, l’idéal d’un spectateur lucide et critique, par conséquent libre de ses choix et émancipé, en opposition au spectateur non informé sur ses processus mentaux, donc naïf et dupé, est peut-être de nature à rejouer, dans une certaine mesure, les lignes de démarcation traditionnelles contre lesquelles entendait se positionner le projet GENEAM « L’éducation aux médias aujourd’hui : Pour une nouvelle généalogie critique » (J. Hamers et F. Provenzano, dirs.). Pour le dire autrement, elle pourrait amener à repositionner l’approche de la sémiotique sociale sur le versant du paradigme émancipatoire en éducation aux médias. D’autant que l’intérêt exprimé par les autrices pour une convergence avec les neurosciences (p. 186) demanderait à être explicité : quelle serait la plus-value d’une caution des sciences techniques et médicales à une démarche qui prend justement tout son intérêt dans son caractère situé et pratique, sa focalisation sur la production de sens interne au sujet ? Ne retomberait-on pas alors dans des approches plus catégorielles et normatives, visant, par exemple, à informer sur les biais cognitifs pour mieux en libérer l’usager ?

Rien n’indique à ce stade que c’est cette voie qui sera poursuivie, et l’on ressent par ailleurs un réel enthousiasme face aux perspectives qu’ouvre le dispositif des ateliers pour la confrontation des points de vue pluriels et la construction d’interprétations en commun[7]. La réflexivité résulte alors des échanges de points de vue, ouvrant des fenêtres d’opportunités pour la conversion du regard lorsque des groupes non hégémoniques s’emparent des taches aveugles de l’interprétation (comme l’absence de femmes sur une image de presse, de personnes non blanches dans un trailer, etc.). Le dispositif d’apprentissage proposé par Alexandra Saemmer, Nolwenn Tréhondart et Lucile Coquelin présente à nos yeux un vrai potentiel pour faire autre chose en éducation aux médias, et dénaturaliser le processus de production du sens par la mise en évidence de tout ce qui le conditionne : une invite aux acteurs à s’en emparer ?

Bibliographie

Barthes, Roland. 1964. « Rhétorique de l’image ». Communications 4 (1): 40‑51. https://doi.org/10.3406/comm.1964.1027.

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Bonaccorsi, Julia. 2013. « Approches sémiologiques du web ». In Manuel d’analyse du web en Sciences Humaines et Sociales, par Christine Barats, 125‑46. Paris: Armand Colin.

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Fastrez, Pierre, et Thibault Philippette. 2017. « Un modèle pour repenser l’éducation critique aux médias à l’ère du numérique ». tic&société, no Vol. 11, N° 1 (septembre): 85‑110. https://doi.org/10.4000/ticetsociete.2266.

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Lecomte, Julien. 2014. « Sur la réflexivité dans les pratiques d’éducation aux médias et à l’information ». Médiadoc, no 12 (juin): 6‑11.

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Paveau, Marie-Anne. 2017. L’analyse du discours numérique: Dictionnaire des formes et des pratiques. Paris: Hermann.

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Souchier, Emmanuël, Gustavo Gomez-Mejia, Valérie Jeanne-Perrier, et Étienne Candel, éd. 2019. Le numérique comme écriture. Théories et méthode d’analyse. Paris: Armand Colin.


[1] L’espace de communication est défini par Roger Odin comme « un espace à l’intérieur duquel le faisceau de contraintes pousse les actants (É[metteur]) et (R[écepteur]) à produire du sens sur le même axe de pertinence. » (Odin 2011, 39). Le choix d’un axe de pertinence est donc à comprendre comme la recherche d’un dénominateur commun entre les espaces de production et de réception, compte tenu de leurs contraintes contextuelles spécifiques, pouvant être naturelles (p. ex. langue de communication) ou non (p. ex. politiques, culturelles, économiques, etc.). De ces contraintes naissent des hypothèses de lectures émises par le Récepteur face au message émis (ibid., p. 23) et la sélection d’un mode (spectacularisant, fabularisant, documentarisant, etc.) structurant l’espace de communication, guidant la production du sens au regard d’un type de lecture, d’usage, de circulation sociale anticipé.

[2] Les autrices signalent, à cet égard, que « Les modèles du monde sont inégalement distribués dans la société ; certains sont façonnés et imposés par des groupes aux habitudes hégémoniques. » (p. 50).

[3] En effet, ainsi que nous le faisait observer récemment B. Lafon avec humour : Y a-t-il d’autres médias cryptés que Canal+ ?

[4] C’est du moins en ce sens que peut être compris le décret de 1994 définissant la neutralité de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles ; l’enseignant étant cependant légitimé à promouvoir les valeurs associées aux droits de la personne humaine.

[5] On relèvera encore que, dans un contexte plus global, l’environnement scolaire apparaît comme une zone de tension pour l’éducation aux médias, dès lors qu’elle est susceptible de faire entrer en classe des matériaux jugés contraires à ce même prescrit de neutralité. On apprend ainsi, par le cadrage historique proposé par Marlène Loïcq et Jacques Piette dans l’ouvrage Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique, que l’interdiction d’utiliser des journaux en France dans le cadre des apprentissages scolaires ne fut levée qu’en 1976, ceux-ci véhiculant des points de vue sur la société pouvant influencer les élèves (Delamotte 2022, 20).

[6] Comme l’exprime Julia Bonaccorsi : « Les approches sémiologiques considèrent les effets de sens en jeu dans des documents web comme autant d’hypothèses de signification, reposant non pas sur un codage du sens a priori (signifié/signifiant), mais sur les relations entre signes et pratiques interprétatives » (Bonaccorsi 2013, 126).

[7] En cela, la démarche pourrait être rapprochée de l’inquiry-based learning (Rogow 2013) comme méthode pour l’éducation aux médias, approche d’apprentissage davantage orientée vers la démarche de production de sens à partir des textes et la confrontation des points de vue ainsi que de recherche d’informations contextuelles, plutôt que vers un décodage des messages médiatiques.

The Blind Spot: Some Introductory Notes on Betting

Betting can be considered as an opposite (and maybe complementary) paradigm to the one of transparency. As a cultural form and media mythology about uncertainty, betting offers the ground for a willing suspension of transparency. The betting paradigm is the living archive of the transparency paradigm and the model of rationality it relies on. Therefore, we can illuminate the critical dimension of this living archive with regard to the model of the well-informed controversy and the transparent pursuit of truth.

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Escorter le fact-checking

Indépendance, impartialité, transparence, émancipation, participation, explication : une série de paradigmes clés innerve les discours d’escorte des cellules de fact-checking. On entend mettre en lumière les récurrences figuratives, les positionnements énonciatifs et les partis-pris formels selon lesquels ces paradigmes apparaissent en discours. Notre postulat est que se dégagent de ce métadiscours de vérification, d’une part, l’expression d’une médiation revendiquée, professionnelle, correspondant à la promesse du dispositif, et d’autre part, une médiation réflexive prenant la forme d’un objectif implicite visant, par le discours sur le dispositif, la réaffirmation de ses propres codes. Ces deux premiers plans travailleraient à en opacifier un troisième, celui des médiations fondamentales, qui relèvent du traitement de l’information comme « opération sociale, technique et langagière » (Jeanneret).

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