Delamotte, Éric, éd. 2022. Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique : Points de vue et dialogues. Papiers. Villeurbanne: Presses de l’enssib
Lecture, discussion, propositions

Objets scientifiques aux contours incertains, les médias se sont trouvés sommés de se redéfinir par leur exposition sur la scène de l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI). Ce champ d’activité suscite, depuis la popularisation des médias de masse (imprimés, audiovisuels, puis numériques), l’intérêt croissant des instances institutionnelles, dont dépendent les prescriptions en matière de politiques éducatives alignées sur le projet de société qu’elles entendent poursuivre. La saisie de ce projet dans sa complexité ne suffit cependant pas à rendre compte du foisonnement de cette (inter-)discipline ; en effet, « analyser aujourd’hui les débats éducatifs implique de prendre en compte l’apport des recherches qui les structurent pour partie. » (p. 7). L’ouvrage se propose donc, comme l’indique explicitement le titre, d’amorcer un état des lieux des courants scientifiques et des structures de recherche ayant nourri l’assise conceptuelle de l’éducation aux médias francophone — ou plus exactement, des éducations aux médias, à l’information et au numérique. La cartographie maintient néanmoins des liens étroits avec le territoire dès lors que ses contours se dessinent à travers les dialogues menés, dans chacun des chapitres, entre deux auteurs, situant les points de contact entre les parcours personnels et les visées de l’éducation aux médias, tout en laissant la place à un échange de points de vue sur leurs travaux respectifs.

L’ouvrage, dirigé par Éric Delamotte, se divise en trois parties, alignées sur les trois entrées que sont « la culture des médias et l’éducation aux médias, la culture informationnelle et l’éducation à l’information, la culture numérique et l’éducation à l’informatique » (p. 11). Chacune se compose de trois chapitres. La première section, intitulée « Éducation aux médias », s’ouvre sur un état de l’art situé et prospectif de l’éducation aux médias au sein de trois contextes géographiques (Québec, Australie et France), que l’on doit à Marlène Loicq et Jacques Piette (« L’éducation aux médias d’hier, d’aujourd’hui et de demain ») ; il débouche sur deux focus présentant, l’un, le paysage français et son organe, le CLEMI (« Le CLEMI : Histoire militante et enjeux institutionnels », par Jacques Gonnet et Isabelle Féroc-Dumez), l’autre, le paysage belge (« Un demi-siècle d’éducation aux médias », par Thierry De Smedt et Pierre Fastrez), signalant l’action structurante du CSEM ou Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias comme instance chapeautant les initiatives dans ce domaine en Fédération Wallonie-Bruxelles. La recherche est, dans ces contributions, directement mise en relation avec les évolutions sociales et les prescrits institutionnels.

La deuxième partie, « Éducation à l’information », met l’accent sur les apports des sciences de l’information-documentation (une branche des sciences de l’information et de la communication), en rendant compte des études pionnières qui y ont été menées sur le document numérique, mis en circulation dans les environnements connectés et associé à des usages inédits (« La médiation documentaire : à la confluence entre information et communication », par Viviane Couzinet et Vincent Liquète ; « Document, documentation et culture informationnelle », par Annette Béguin-Verbrugge et Susan Kovacs ; « Le nouvel ordre documentaire : accords et désaccords », par Jean-Michel Salaün et Alexandre Serres).

Enfin, la troisième et dernière partie, « Éducation au numérique », aborde la question de l’enseignement de l’informatique, tributaire dans un premier temps des efforts poursuivis par les professeurs pour en faire une matière enseignable (« Histoire d’une didactique autoproclamée », par François Stass et Étienne Vandeput). Béatrice Drot-Delange et Cédric Fluckiger traitent ensuite des enjeux associés à l’enseignement de l’informatique, ses visées en termes d’apprentissage, entre acquisition de compétences/skills et familiarisation avec une culture numérique (« Dialogue sur la didactique de l’informatique : bilan, enjeux et perspectives »). Simon Collin et Daniel Peraya prennent pour leur part l’angle offert par l’étude des dispositifs médiatisés pour la formation et l’éducation, à partir de leurs intérêts et domaines de recherche : les sciences de l’éducation au Québec pour l’un, les technologies éducatives pour l’autre (« Entre chronique personnelle, scientifique, institutionnelle. Le parcours de deux chercheurs »).


Un bénéfice important de l’ouvrage nous semble résider en ce qu’il assume pleinement le caractère situé de l’éducation aux médias, dès lors que, malgré le rôle d’orientation qu’assurent les organismes internationaux, elle est principalement structurée par des instances nationales, à partir d’un champ de pratiques (associatives ou enseignantes) dont l’action opère à l’échelon local, et par des recherches animées au sein de collectifs nourris de différents champs disciplinaires. La mise en évidence de ces configurations souvent ponctuelles et spontanées est l’un des projets du livre : ainsi que le signale l’éditeur dès l’introduction,

Dans le cadre de ces recherches se posaient et se posent les questions de l’élaboration et la circulation des savoirs dans leur diversité épistémologique (savoirs savants, savoirs professionnels, savoirs traditionnels, savoirs issus de la pratique, savoirs profanes…) et la recomposition des savoirs disciplinaires. (p. 9)

De ces interactions résulte une interdisciplinarité dynamique, se reconstituant continuellement dans un contexte socio-politico-culturel changeant, qui définit les enjeux éducatifs. Ce mouvement se manifeste de manière concrète au sein des biographies intellectuelles et des regards croisés qui forment la matière de ce cadastre, forcément non exhaustif : on n’y trouvera pas, par exemple, de chercheurs issus de l’Afrique francophone ; les intervenants du secteur associatif et de l’éducation permanente n’y sont pas non plus représentés, ce qu’on peut déplorer dès lors que leur rôle déterminant est souligné.

Du volume collectif, nous tirerons deux fils qui nous semblent particulièrement bienvenus : (i) les pistes ouvertes par ces biographies intellectuelles et réflexives pour re-penser l’éducation aux médias ; (ii) de là, une réflexion sur ce qu’est finalement un média — le concept apparaît en effet comme un point aveugle (p. 89) de la recherche —, et les liens qu’il entretient avec celui de document. Cette précision conceptuelle est nécessaire pour définir ce qu’on veut exactement enseigner, pour quelle visée éducative : on s’attardera ici plus spécifiquement sur le champ belge, dès lors qu’il s’agit de l’horizon au sein duquel se conçoit notre action.

Re-penser l’éducation aux médias ?

Ainsi qu’en témoignent différents chapitres du livre, le diagnostic des écueils, voire des impasses, de projets en éducation aux médias qui se penseraient prioritairement au travers de lignes de démarcation de type vrai vs. faux, usager actif et émancipé vs. passif et manipulé, etc. — au départ du projet du collectif Dé_montages —,semble en réalité partagé par un certain nombre d’acteurs. D’une part, l’évaluation des sources informationnelles, le fact checking sont un travail de journaliste qui ne saurait être délégué en l’état aux élèves sous prétexte d’exercer leur esprit critique — bien que l’on puisse les sensibiliser aux règles déontologiques de la profession, censées garantir l’accès à une information fiable et de qualité. Et l’information, fût-elle fiable et de qualité, restera un objet d’analyse et de critique envisagé par l’éducation aux médias (Buckingham 2020). D’autre part, penser la compétence numérique en termes de skills apparaît insuffisant. Cette conception se centre sur des capacités d’opérationnalisation de gestes techniques, apprises dans un but d’utilité directe sur le marché professionnel, par exemple) dans un projet global d’éducation aux médias ; ce à quoi ne peut se réduire la culture numérique dans sa complexité — voici une décennie déjà, Olivier Le Deuff posait un constat similaire (Le Deuff 2011).

En réponse à cela, le changement de paradigme proposé nous paraît s’organiser autour de deux pistes, qui peuvent d’ailleurs se combiner : (i) une saisie communicationnelle des productions médiatiques à la lumière de leur circulation dans l’environnement numérique, elle-même conditionnée par les matérialités des textes, les imaginaires et les usages acquis dans d’autres domaines d’expérience (p. ex. Mitropoulou et Pigner 2014; Laborde 2017; Souchier et al. 2019)[1] ; et (ii) une approche « interne » destinée à outiller l’apprenant dans la compréhension des effets de sens et des affects suscités par les messages médiatiques, comme l’illustrent par exemple les travaux dans le domaine de la sémiotique sociale[2] ou l’approche sémio-communicationnelle esquissée par Yves Jeanneret (Jeanneret 2019) dans la lignée de ses travaux sur la trivialité[3], accordant toute sa place à la réflexivité du spectateur mais également aux circulations des textes — l’influence de cette figure marquante des SIC sera rappelée à divers endroits de l’ouvrage chroniqué. On trouvera par ailleurs l’écho de ces préoccupations dans les propositions de Piette et Loïcq au sein du premier chapitre (cf. infra). En d’autres termes, ce changement de paradigme reconsidère l’éducation aux médias en tant qu’elle vise la production de savoirs critiques, réflexifs, interrogeant aussi bien leurs conditions de production, circulation et réception que leur valeur dans le champ social (Leclercq 2014; Cormann, Provenzano, et al. 2014).  

Ceci étant, implémenter une éducation aux médias ainsi conçue en terrain scolaire reste une gageure, à bien des égards. Si l’on suit Piette et Loïcq, ce serait en raison du caractère foncièrement révolutionnaire de l’éducation aux médias, qui entrerait en tension avec la dimension traditionnelle de l’enseignement, quand bien même elle offrirait des pistes fécondes pour le re-penser :

Aux antipodes de l’enseignement dit « traditionnel », l’éducation aux médias appelle de ses vœux, depuis plus de quarante ans, de revisiter les approches pédagogiques, de repenser la classe, d’imaginer de nouvelles formes de construction des savoirs et de médiation, et d’oublier l’idée des acquisitions de connaissances dispensées linéairement et de manière descendante. Finalement, pour vraiment fonctionner, l’éducation aux médias ferait voler en éclat le modèle éducatif classique. Elle appelle à une prise en compte des dimensions sociales et émotionnelles des individus, aux pratiques et apprentissages non formels et informels, elle invite finalement à accepter l’élève dans sa complexité, en arrêtant de vouloir le protéger derrière les murs déjà fissurés d’une institution dont les cadres sont de plus en plus perçus comme des cages. (p. 26)

Si l’on ne peut qu’être d’accord avec les visées assignées dans cet extrait à l’éducation aux médias, on le sera peut-être moins avec ce qui suit : le frein au déploiement de cette éducation aux médias résiderait selon les auteurs dans les représentations que les professeurs, élèves et parents se feraient des médias et de l’éducation aux médias (p. ex. pour les premiers, en considérant les médias comme outils puissants à l’action presque magique ou, à l’inverse, comme une menace ; les derniers ayant tendance à accueillir négativement l’introduction des écrans à l’école). Sans doute le constat n’est-il pas totalement faux, mais on se dit toutefois, à la lecture de ce passage, que si les universitaires sont bien prompts à incriminer les représentations dans le chef des enseignants, élèves ou parents, ils le sont nettement moins à interroger leurs propres représentations du milieu scolaire qui, dans les faits, perd au fil du temps sa force d’institution consacrée, et dont les méthodes pédagogiques privilégient depuis plusieurs décennies (en Belgique, depuis le Décret Missions de 1997 plus précisément) les approches inductives. On lira ainsi, plus loin, sous la plume de Thierry de Smedt et de Pierre Fastrez: « Depuis de longues années, l’institution scolaire s’autoreproduit, sans voir ses missions sociales reformulées par la société. » (p. 86). Outre le fait que l’assertion ne soit pas sans lien avec les discours promotionnels tenus par les industries du numérique éducatif ambitionnant de révolutionner un enseignement sclérosé, elle apparaît pour le moins hors sol dès lors que l’institution éducative souffrirait plutôt d’un réformisme constant censé résorber l’écart entre les apprentissages scolaires et leur utilité sociale au moyen de méthodes « innovantes ». Peut-être d’ailleurs les représentations des chercheurs universitaires à l’égard du monde scolaire, réduit à un environnement normatif sans que ne soient prises en compte sa diversité et sa complexité, sont-ils tout autant source d’obstacles à la réussite du projet porté par l’éducation aux médias.

En revanche, on suivra pleinement les auteurs dans leur refus d’une conception dichotomique « alors que c’est bien dans l’idée d’un continuum basé sur l’expérience que se pense le projet d’éducation aux médias. » (p. 27), reposant sur une approche réflexive des pratiques médiatiques, basée sur l’apprentissage des textes comme objets manipulables, mis en circulation dans un environnement complexe où interviennent les industries médiatiques ; soit une « posture à adopter dans nos consommations médiatiques » (p. 28). L’approche proposée se construira ainsi en envisageant ces textes dans leur caractère fondamentalement communicationnel : « Plus que jamais, l’éducation aux médias doit revendiquer son socle : elle est une éducation à la communication (support, contenu, relation) » (p. 28). Il va sans dire que nous nous rallions entièrement à cette conception de l’éducation aux médias qui peut ainsi être rapprochée d’une didactique de la communication médiatisée.

Vous avez dit média ?

Les reconfigurations ponctuelles du domaine, au fil des avancées techniques, reposent la question nodale de savoir ce qu’est un média, les pratiques auxquelles les médias s’associent, constitutives des littératies dont le développement est visé dans les cadres institutionnels internationaux (p. ex. celui de l’UNESCO) ou nationaux — en Belgique, celui du CSEM, dont la matrice est présentée dans le troisième chapitre de Thierry De Smedt et Pierre Fastrez, que nous discuterons ici.

Les auteurs rappellent que, si les activités en éducation aux médias ont été portées dès l’origine par des enseignants, formateurs ou parents, la recherche ne s’y est intéressée qu’assez tardivement autour de trois axes que seraient (i) les recherches alimentant l’éducation aux médias en concepts ; (ii) les pratiques médiatiques des groupes sociaux identifiés comme potentiels bénéficiaires de l’éducation aux médias (intégré au premier) et (iii) l’éducation aux médias et la littéracie médiatique prises comme objets (p. 76)[4]. Nous résistons cependant à l’assertion voulant qu’« en ce qui concerne les recherches en didactique, leur ancrage disciplinaire les empêche d’aborder les médias, puisque personne ne les y enseigne ». Au contraire, l’identification de l’éducation aux médias comme matière transversale, au même titre que l’EVRAS, par le Pacte d’Excellence mis en chantier en Fédération Wallonie-Bruxelles, ouvre la voie à son intégration au sein même des disciplines — travail de repérage qu’a d’ailleurs effectué le CSEM dans sa brochure L’éducation aux médias dans les référentiels du tronc commun(2022). Par ailleurs, la recherche en didactique disciplinaire est plurielle, et d’aucuns considèrent que ses objets peuvent être choisis au regard des savoirs de référence — les sciences de l’information et de la communication, par exemple. Comme le résume assez bien Cédric Fluckiger dans le huitième chapitre du même ouvrage,

Certains, comme Yves Reuter, considèrent que les didacticiens sont des spécialistes des matières scolaires, qu’ils s’intéressent aux contenus en tant qu’ils sont référés ou référables à des matières scolaires. D’autres, comme Yves Chevallard, estiment que les didacticiens n’ont pas à se laisser dicter leurs objets par les choix contingents, historiquement situés, de l’institution scolaire (Chevallard 2006). Certaines didactiques procèdent systématiquement à l’analyse du “savoir a priori”, c’est-à-dire qu’ils envisagent les contenus qu’ils étudient à l’aune des disciplines savantes de référence. (p. 223)

La structuration du champ de l’éducation aux médias en Belgique par le double travail des instances institutionnelles et des groupes de recherche a amené la constitution progressive d’un cadre de compétences adopté par le CSEM en 2013 et reposant sur les travaux théoriques des auteurs du chapitre.

Source : (CSEM [2013] 2016, 15)

Ce cadre présente l’intérêt majeur de considérer le média comme un objet multifacette, associant une dimension informationnelle[5], une dimension technique et une dimension sociale, et sur lequel les compétences s’exercent en lecture et en écriture, mais aussi, à l’échelle d’un corpus, en navigation et organisation. Dès lors que la dimension informationnelle s’est vue très fortement investie dans les opérations de lutte contre la désinformation, ce cadre possède le grand avantage de situer l’objet « média » dans sa complexité ; ce qu’on ne retrouvera pas forcément dans un cadre comme celui de l’UNESCO, donnant la priorité aux compétences d’actions citoyennes, techniques et éthiques ; et encore moins dans le DigComp européen, où l’éducation au numérique s’envisage prioritairement sous l’angle fonctionnel et utilitariste[6].

En revanche, la définition assez large du concept de média[7] telle que consacrée par le cadre de compétences du CSEM, intégrant par exemple un objet comme la bague de fiançailles en tant qu’elle constitue un support véhiculant un message, entretient des liens poreux avec la notion de document[8], qu’il convient de préciser. L’ouvrage collectif en fournit opportunément la matière, puisque le document saisi dans sa dimension communicationnelle et médiatique fait justement l’objet des interventions de la deuxième partie.

Si la définition minimale de Paul Otlet attribue la qualité de document à l’ensemble signe-support, Anne Béguin rappelle, à cet égard, que le document est un « support d’information qui sert à communiquer. Une trace devient document quand on l’interroge. » (p. 134). En d’autres termes, c’est le récepteur qui institue le document et l’actualise comme tel par l’usage qu’il en fait (Gardiès, Fraysse, et Courbières 2007). Impossible donc de dissocier l’information de sa mise en circulation par un acte de communication à l’attention d’un public — à cet égard, les autrices des chapitres 4 et 5 insistent à plusieurs reprises sur le fait que l’information ne peut se penser que dans sa dimension communicationnelle.

Le média, en tant que dispositif médiatique (Jeanneret 2014, 13)[9] est donc appelé à jouer un rôle dans la mise en forme du document, et à définir ses conditions de circulation et d’usage. Par ailleurs, les médias sont eux-mêmes susceptibles d’être lus comme documents, qu’il s’agisse des objets médiatiques comme le gramophone ou la machine à écrire (Kittler [1986] 1999) — c’est en ce sens que travaille l’archéologie des médias (Huhtamo Erkki et Parikka Jussi 2011) — ou des médias numériques en tant qu’objets écrits (Souchier et al. 2019). En revanche, le document n’est pas en soi un média, bien qu’un dispositif médiatique puisse conditionner sa production et sa mise en circulation. In fine, la bague de fiançailles sera certes un document si l’on décide de la considérer comme telle, mais pas nécessairement un média. Cet exemple tend, nous semble-t-il, à assimiler abusivement média et signe, puisque la fonction transmissive n’est pas réellement inhérente à l’artefact bague ; là où, a contrario, les messages médiatiques circulent grâce aux dispositifs médiatiques, ou médiums, comme matériau et support chargés de les véhiculer et de leur donner forme (Laborde 2017, 22); la notion de média référant alors à l’institutionnalisation de ces configurations (Ibid., 24). Quoi qu’il en soit, l’étude approfondie des relations qu’entretiennent les documents et les médias nous paraît constituer un point d’entrée aussi stimulant qu’indispensable pour l’éducation aux médias — on pense par exemple aux potentialités éducatives de choix théoriques tels qu’effectués par Yves Jeanneret dans Critique de la trivialité, envisageant les réseaux sociaux en tant que dispositifs d’échanges microdocumentaires, ce qui met l’accent sur les opérations de catalogage et de circulation d’informations au cœur de la logique des médias numériques participatifs (Jeanneret 2014, 14‑15).

En réalité, si les médias, en tant que concepts, restent peu saisissables, c’est peut-être parce que leur compréhension informée réside précisément dans la mise au jour des composantes intervenant dans les processus médiatiques, ainsi que des interactions qu’entretiennent leurs strates. La démarche adoptée par Barbara Laborde dans son approche médio-pragmatique des textes audiovisuels (Laborde 2018; 2017), interrogeant la pluralité des médiums et les circulations d’objets transmédiatiques, va en ce sens. La sémiotique a également fourni des outils permettant les distinctions conceptuelles : dans un ouvrage co-édité avec Eleni Mitropolou, Former ou formater ? Les enjeux de l’éducation aux médias, Nicole Pigner mettait ainsi en évidence les confusions entourant l’usage du terme « média » dans les textes institutionnels, ceux du CLEMI notamment, et proposait de distinguer les couches intervenant dans le phénomène « média » (Mitropoulou et Pigner 2014, 40). Sans doute le cadre de compétences du CSEM pourrait-il se voit utilement complété d’un cadre conceptuel, sur le modèle des efforts entrepris par l’AMLA, aux États-Unis, pour la mise au jour des concepts fondamentaux, accompagné éventuellement d’un lexique pour l’éducation aux médias.

Quoi qu’il en soit, les différents chapitres et parties de l’ouvrage collectif édité par Éric Delamotte ont l’intérêt de remettre au premier plan le rôle des matérialités médiatiques permettant aux textes d’être communiqués, ouvrant ainsi des pistes fécondes pour l’éducation aux médias. Nous conclurons ainsi par les mots d’Annette Béguin-Verbrugge et Susan Kovacs :

La réflexion sur l’acte de communication qu’est un texte, son inscription dans des formations discursives et dans des formes éditoriales (y compris numériques), sa lecture, son appropriation par les publics dans la diversité de leurs pratiques restent pour nous les pistes d’interrogations fondamentales. Les dimensions sémiotiques, historiques et politiques en sont inséparables. (p. 151).

Bibliographie

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Carton, Tiphaine, et Nolwenn Tréhondart. 2020. « La plateformisation de l’éducation aux médias et à la citoyenneté ». Spirale – Revue de recherches en education N° 66 (3): 77‑94.

Cormann, Grégory, François Provenzano, et al. 2014. « Genèse et actualité des Humanités Critiques. France-Allemagne, 1945-1980. Dossier de candidature – Actions de recherche concertées, 2015 ». http://genach.uliege.be/index.php/ressources/fiche/41#visualisation.

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Gardiès, Cécile, Patrick Fraysse, et Caroline Courbières. 2007. « Distance et immédiateté : incidences du document numérique sur le traitement de l’information ». Études de communication. langages, information, médiations, no 30 (octobre): 71‑81. https://doi.org/10.4000/edc.478.

Hobbs, Renee. 2021. Media Literacy in Action: Questioning the Media. Rowman & Littlefield Publishers.

Huhtamo Erkki et Parikka Jussi, éd. 2011. Media Archaeology: Approaches, Applications, and Implications. Berkeley; Los Angeles; London: University of California Press. http://s3.amazonaws.com/arena-attachments/1181527/572f596a6d1ff400d0a1982c2e044d0c.pdf?1502198877.

Jeanneret, Yves. 2014. Critique de la trivialité: Les médiations de la communication, enjeu de pouvoir. Paris: Editions Non Standard.

———. 2019. « Chapitre 4. Recourir à la démarche sémio-communicationnelle dans l’analyse des médias ». In Médias et médiatisation: Analyser les médias imprimés, audiovisuels et numériques, édité par Benoît Lafon, 105‑35. Grenoble: Presses universitaires de Grenoble. https://www.cairn.info/medias-et-mediatisation–9782706142802-page-105.htm.

Kittler, Friedrich A. (1986) 1999. Gramophone, Film, Typewriter. Writing Science. Stanford: Stanford university press.

Laborde, Barbara. 2017. De l’enseignement du cinéma à l’éducation aux médias: Trajets théoriques et perspectives pédagogiques. Paris: Presses Sorbonne Nouvelle.

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Lafon, Benoît, éd. 2019. Médias et Médiatisation: Analyser Les Médias Imprimés, Audiovisuels et Numériques. Grenoble: Presses universitaires de Grenoble.

Le Deuff, Olivier. 2011. La formation aux cultures numériques : une nouvelle pédagogie pour une culture de l’information à l’heure du numérique. Limoges: FYP éditions.

Leclercq, Bruno. 2014. « Qu’est-ce qu’un savoir critique ? » In Leurres de la qualité dans l’enseignement supérieur ? Variations internationales sur un thème ambigü, édité par Bruno Leclercq et Catherine Fallon, 31‑49. Louvain-la-Neuve: Academia. http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/143333.

Mitropoulou, Eléni, et Nicole Pigner, éd. 2014. Former ou formater ? Les enjeux de l’éducation aux médias. Limoges: Solilang.

Rogow, Faith. 2013. « Ask, Don’t Tell: Pedagogy for Media Literacy Education in the Next Decade ». Journal of Media Literacy Education 3 (1). https://doi.org/10.23860/jmle-3-1-8.

Souchier, Emmanuël, Gustavo Gomez-Mejia, Valérie Jeanne-Perrier, et Étienne Candel, éd. 2019. Le numérique comme écriture. Théories et méthode d’analyse. Paris: Armand Colin.


[1] On mentionnera encore le projet d’une ANR « Circulation des discours et littératie médiatique », élaboré sous la direction d’A. Seurrat et F. Sitri, visant plus spécifiquement l’étude des phénomènes de reprise au sein des discours médiatiques.

[2] De manière plus générale, on peut signaler les approches en éducation aux médias laissant le champ libre au travail interprétatif et à la réflexivité de l’apprenant ; voir par exemple (Rogow 2013; Hobbs 2021).

[3] Pour un retour sur cette proposition, voir la recension de l’ouvrage (Lafon 2019) sur ce même site.

[4] On trouvera la schématisation associée à cette tripartition citée dans le billet rapportant la présentation du projet lors de la matinée du CSEM du 31 mars 2022.

[5] Les auteurs proposent opportunément de substituer à cette dénomination, en usage jusqu’ici, celle de « sémiotique », ce qui nous semble bienvenu dès lors que l’information est appréhendée à l’aune des langages qui en permettent l’expression, et génèrent du sens en pôle réception.

[6] La plateforme Pix, élaborée en conformité avec ce référentiel et popularisée par les instances éducatives, françaises tout d’abord, belges depuis peu, encapsule une représentation très parcellaire et opérationnelle de ce que devrait recouvrir l’éducation aux médias numériques, faisant l’impasse sur les compétences interprétatives des messages médiatiques, l’analyse fine des médiations et des langages, etc. (voir ainsi la critique de cette plateforme par Nolwenn Tréhondart durant notre séance de séminaire du 22 mars 2022 ainsi que dans (Carton et Tréhondart 2020)).

[7] « Le terme média est récent, mais son idée et sa pratique sont plus anciennes : il s’agit de faire circuler, entre les membres de la société, des artefacts chargés de signes, susceptibles d’être interprétés et porteurs d’un sens. » (p. 69). Le média est également mis en relation avec des enjeux de pouvoir donné à son usager. Thierry de Smedt et Pierre Fastrez s’interrogent également sur ce flou définitionnel, dès lors que le média est minimalement ce qui sert à transmettre des contenus (p. 90), le terme « contenu » étant lui-même déjà contesté dès lors qu’il est issu de la théorie de l’information et tendrait à opacifier la composante médiumnique consubstantielle au texte médiatique.

[8] Cf. cadre de compétences du CSEM : « Le média est aussi bien un document qu’un dispositif médiatique […]. Pour dire les choses autrement, un document et un dispositif médiatique sont indissociables parce qu’un document ne devient un média que dans les dispositifs qui permettent de le créer et de le transmettre. Ces dispositifs combinent toujours un canal technique, celui des outils de production et de diffusion du message, et un canal institutionnel, celui de l’organisation sociale de l’usage de ces outils. » (CSEM [2013] 2016, 11). Comme nous le précisions cependant par la suite, il nous semble indispensable de préciser les outils et concepts permettant de discerner entre les différentes strates médiatiques et leurs interactions.

[9] Dans Critique de la trivialité, Jeanneret définit le média au sens de dispositif médiatique, soit un « dispositif matériel affectant la manière dont la communication peut se dérouler, le rôle que les uns et les autres peuvent y jouer et les signes qui peuvent être mobilisés (définition extensive retenue dans ce livre). De ce point de vue, l’exposition artistique, scientifique ou historique est un média car elle organise un espace de parcours pour des visiteurs qu’elle constitue en public, associe des objets en un ensemble interprétable, encourage un certain type d’attitude vis-à-vis du savoir. »

Médias et Médiatisation : Analyser les médias imprimés, audiovisuels et numériques

L’ouvrage coordonné par Benoît Lafon apporte une série de synthèses théoriques susceptibles de soutenir une éducation aux médias orientée vers les (processus de) médiatisations plutôt que vers l’information au sens strict (qui est une médiatisation parmi d’autres) et son évaluation. Il invite à une saisie non normative des productions médiatiques et permet de traiter comme un même ensemble les textes circulant au sein des médias d’information, des réseaux sociaux ou des publicités dans l’espace public.

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“Knowing the audience” on digital platforms

A platform, in its very nature, promises to make the entire communication chain transparent (and hence controllable). For content producers, this makes platforms an appealing environment to distribute their creations, since they offer the possibility to know their audiences. Most platforms therefore offer contributors insight into the reach of their creations, in the form of dashboards that contain audience metrics. This knowledge about the audience given to content creators is “interested”, in the sense that the knowledge is not random nor complete, and in its biases it is possible to detect a certain managerial logic.

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