Comprendre les logiques médiatiques des mooks

Compte rendu de : Audrey ALVES et Marieke STEIN (dir.), Les Mooks. Espace de renouveau du journalisme littéraire, Paris, L’Harmattan, 2017, 335 pages. Texte originellement publié dans : Le Temps des médias, 2018/2, 31, p. 279-282.

Voici maintenant dix ans que les mooks ont pris place dans le paysage médiatique, depuis le lancement de XXI, considéré comme le pionnier du genre, jusqu’à la grande variété de l’offre actuelle. Cette variété complique la définition claire d’un format qui se caractérise surtout négativement, par le refus des logiques journalistiques considérées aujourd’hui à la fois comme « traditionnelles », « dominantes » et « en crise » : l’information de flux à rythme rapide, délaissant le soin rédactionnel pour une prétendue objectivité, et désormais davantage dépendante des supports numériques que des parutions en kiosque. En réaction, les mooks feraient le pari d’un slow journalism fortement subjectivé, d’un important travail d’élaboration matérielle du support (qui active l’imaginaire du [beau] livre, d’où la contraction « magazine-book »pour former l’étiquette générique « mook »), et d’une distribution en librairie. Le présent collectif, issu d’un colloque tenu en 2014, entend apporter une première contribution à la compréhension de ce qui constitue, non plus une simple mode éphémère, mais plutôt le signe d’une mutation profonde des formes journalistiques.

L’ouvrage se compose d’une vingtaine de contributions, réparties en trois grands chapitres (« À l’origine des mooks », « Poétique des mooks », « Esthétique des mooks »), et complétées par une introduction, une conclusion (qui constitue plutôt une contribution supplémentaire) et la transcription de deux tables-rondes avec des professionnels du secteur ; il ne propose pas d’illustrations. Malgré son apparente structuration, l’ouvrage ne peut pas vraiment être considéré comme une étude systématique de l’objet mook, encore moins comme une synthèse ou comme un manuel. Sans éviter plusieurs redites, il propose une variété de points de vue disciplinaires (histoire des médias, analyse énonciative, sémiologie des supports, sociologie de la presse) et de cas d’étude précis (parmi lesquels se distinguent principalement XXI et La Revue dessinée), qui témoigne autant de la richesse que de la complexité du phénomène. À cet égard, on pourrait dégager des contributions une ébauche de typologie qui combinerait trois couples d’oppositions : les titres français vs. les titres étrangers (qui sont évoqués le plus souvent comme modèles ou points de comparaison des premiers, à l’exception de l’étude consacrée à la revue espagnole Orsai) ; les titres « sérieux » vs. les titres « frivoles » (pour reprendre une polarisation sans doute un peu grossière, mais qui couvre tout de même la gamme des tonalités exploitées par les mooks) ; et surtout les titres orientés principalement vers le champ de l’information journalistique vs. les titres orientés principalement vers le champ de la création artistique. Selon les polarités activées sur ces différents axes, on aura affaire à des objets très différents, qu’il est sans doute périlleux de vouloir traiter sous le même pavillon générique « les mooks ».

Outre cette complexité de l’espace des possibles journalistiques ouvert et couvert par les mooks, l’ouvrage met en lumière plusieurs axes de problématisation transversale, que nous choisissons de présenter ici schématiquement en quatre volets, étroitement articulés.

Premièrement, le succès inattendu et subit de XXI en 2008 pose inévitablement la question de la filiation dans laquelle s’inscrit peu ou prou le nouveau format proposé par les mooks. Cette filiation est-elle plutôt française, ou américaine ? Se construit-elle dans la longue durée, ou au contraire dans le proche xxe siècle ? Et surtout, est-elle explicitement revendiquée, ou plutôt refoulée par les acteurs du secteur ? Sur ces questions, les contributions de Marie-Ève Thérenty, Alexia Kalantzis et Myriam Boucharenc apportent des vues éclairantes et complémentaires, en convoquant des généalogies rarement identifiées dans les discours d’autojustification sur les mooks : les feuilletons de la grande presse du milieu du xixe siècle, les périodiques modernistes du début du xxe siècle et les hebdomadaires de grands reportages des années 1930.

Deuxièmement, les discours d’autojustification, précisément, occupent une place centrale dans la vie médiatique des mooks, qu’ils nourrissent d’une forte charge mythologique (voir l’importance du fameux « Manifeste » de XXI, abondamment cité). Les valeurs de « rupture », d’« expérimentation », de « littérarité », de « collectif » revendiquées par les acteurs des mooks appellent une mise en perspective critique qui puisse identifier les imaginaires activés par ces discours d’escorte, et mesurer aussi l’écart entre les intentions et les réalisations. Les approches sémiotiques (Sylvie Périneau) et énonciatives (Marie Chagnoux, Justine Simon) remplissent assez bien cette fonction d’objectivation des conditions de la discursivité des mooks, mais il faut reconnaitre qu’une part importante de l’ouvrage relaie volontiers les points de vue des acteurs de terrain.

Troisièmement, parmi les mots-clés du métadiscours (profane ou savant) sur les mooks, c’est sans doute « hybridation » qui revient avec le plus d’insistance. Effectivement, le « mélange des genres » apparait comme l’un des traits saillants des mooks et comme l’une des réponses revendiquée face au lissage et au formatage dont peut faire l’objet le traitement de l’information dans les médias dits « traditionnels ». Or, par rapport à quelles « formes pures » le mook apparait-il comme « hybride » ? Quelles opérations de fusion, de collage ou de montage rendent sensible, ou au contraire normalisent l’hybridation en question ? Et dans quelle mesure cette dernière n’apparait-elle finalement pas comme une mise en cohérence, sous une marque (trans)médiatique unique, de pratiques de production et de réception a priori hétérogènes et éclatées, pour fédérer une communauté ? Cette logique est particulièrement à l’œuvre dans le cas de France Culture Papiers, mais on pourrait l’observer également dans le jeu entre les supports papiers et les supports numériques de bon nombre de mooks, voire dans la tentation à déborder le champ médiatique lui-même (voir le cas d’Orsai, qui a créé sa propre université, après avoir ouvert son bar).

Enfin, la logique de « l’hybridation » et l’investissement mythologique dont elle peut faire l’objet concernent aussi plus fondamentalement la question des points de vue posés pour rendre compte du réel de manière juste. Dans les jeux de flottement entre subjectivité et objectivité, entre fiction et documentaire, voire entre professionnalisme et amateurisme, c’est sans doute moins la position sur l’un des pôles qui importe, que le fait de rendre saillante la question même du point de vue adopté, et d’ouvrir ainsi la possibilité de sa variation. L’horizon de la poétique des mooks rejoint ainsi celui d’une éthique du réel. L’ouvrage démontre que l’analyse des formes médiatiques s’impose plus que jamais comme une pierre angulaire dans la compréhension des formes de vie contemporaines.

Unveiling the false, screenwriting the true. Transparency battle in the Early modern polemics (the example of the French Catholic League, 1585-1594)

During the Wars of Religion (16th and 17th centuries), various political or religious groups produced polemical texts. This post focus on the production of the zealous Catholics, whose texts use a large variety of argumentative strategies. Two of them are structured along the axis of transparency: a rhetoric of unveiling and a staging of the information.

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Déconstruction, réflexivité, créativité : le problème des niveaux critiques en éducation aux médias

Les directrices de l’ouvrage soulignent l’importance d’élaborer des perspectives méthodologiques afin de s’écarter des écueils des kits pédagogiques, fiches pratiques et grilles de lecture toutes faites, souvent requis auprès des actrices et acteurs de l’éducation aux médias. La volonté du livre est à cet égard de ne pas réduire le projet éducatif à « une incantation de l’esprit critique », mais de l’enjoindre à « [tenir] compte des difficultés à prendre du recul sur des contenus et des dispositifs, du fait à la fois de leur performativité, de leur potentiel de fascination, des services qu’ils rendent et de la grande opacité de leur fonctionnement ».

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